mardi 13 octobre 2009

L’annonce (l’échographie, la naissance)

Le fémur, je ne savais même pas, précisément, de quel os il s'agissait, où il se situait. J'avais, comme tout le monde, entendu l'expression « se casser le col du fémur ». Mais c'était pour les vieux.


Ils étaient loin les cours d'anatomie grâce auxquels j'avais dû un jour associer le fémur à la cuisse. Le fémur : l'os le plus gros et le plus solide du corps humain.

À présent, pour moi, la cuisse n'avait rien à voir avec l'os qu'elle enveloppait. Il y avait mes cuisses de femmes dont la peau était douce et que j'aimais bien. Il y avait les cuisses de mes petites filles qui marchaient par quatre, le plus souvent côte à côte, toujours en mouvement, graciles et fraîches. Quand elles venaient se poser sur les miennes, je les faisais sauter en riant, leur chantais des comptines. Je connaissais aussi celles de mon mari, longues et musclées, parsemées de poils, rassurantes.

De fémur, je n'en connaissais point. Il n'y avait pas de ça dans la famille. Jusqu'au jour où, au huitième mois de ma troisième grossesse, on m'annonça : il y a un problème. Le fémur gauche de votre bébé présente une anomalie. Probablement une fracture…

Je touchai mon ventre, réflexe de protection. Ma main entra en contact avec le produit froid et collant dont ma peau distendue avait été badigeonnée. Ma main, qui fonctionnait seule, sans mon accord préalable, chercha à chasser l'objet inquisiteur qui parcourait compulsivement la surface de mon ventre à la recherche d'une « autre malformation »... Ma main, toujours elle, s'empara d'un morceau de papier rêche qu'elle froissa en boule rageusement pour essuyer toute cette merde. Mon corps enfin se redressa sur la table d'examen et se laissa glisser prudemment pour se remettre debout et ficher le camp au plus vite.

Ma tête, elle, avait commencé de bourdonner : une fracture ? Je n'avais pas eu d'accident. Je n'étais pas tombée. Et d'ailleurs le bébé était dans l'eau, bien à l'abri.

Depuis ce matin d'automne, il y a huit mois, où sa vie avait débuté, désir d'enfant âgé seulement de quelques heures, j'avais toujours pris soin de lui. Il était venu s'installer au moment même où on l'avait appelé, sans se faire attendre, serein et glorieux dans son devenir.

Alors une fracture ! Une fracture du fémur ! Ce sont des mots durs que je n'entends pas, que je ne comprends pas. Le plus sage serait de rentrer à la maison et de ne rien dire à personne. Faire comme avant : aimer, attendre, rêver, jouer. T'aimer, t'attendre, te rêver…

Mais ce n'est plus possible. Il faut tout de suite joindre, affolée, prévenir, inquiète, le père. Ce n'est pas moi, pas vraiment moi qui suis inquiète et affolée, seulement la femme moderne et anxieuse qui veut savoir, qui veut « bénéficier » des progrès de la médecine, cette femme qu'on a fait de moi et dans laquelle je ne me reconnais pas.

Le père n'aura de cesse qu'il sache la vérité. La fracture, il n'y croit pas. Deux heures après la première, il sera fait une deuxième échographie. Cette fois, on nous dit que sa jambe n'est pas cassée mais que tous ses membres sont trop petits et dissymétriques. Peut-être est-il atteint de nanisme. Mais nous pouvons être rassurés, il n'a pas de bec-de-lièvre... Au revoir et bon courage !


Une nuit à pleurer, à marcher dans l'appartement. Le papa surtout ne dort pas. Les filles à rassurer. Le ventre à soutenir. Qu'y a-t-il dedans ? Jusqu'à présent il y avait un amour. On s'aimait, on avait fait l'amour et un beau fruit s'était développé : une petite framboise comme je disais à mes filles pour leur donner, au début, une idée de sa taille. La petite framboise avait grandi, grandi, se déployant dans sa cavité secrète. Elle était devenue un chaton qui participait à la vie de famille : pris de soubresauts, comme des petits rires silencieux quand ses sœurs jouaient et très spécialement quand elles lançaient la boule de la roulette qui tournait à toute vitesse. À chaque tintement de la bille et quand les filles annonçaient: rien ne va plus ! Les jeux sont faits ! mon bébé riait.

Je le sentais rire. Il frétillait.

Et tout à coup, dans mon sein, on me disait que j'enfermais un ennemi. Un enfant cassé, dissymétrique, nain, pourquoi pas. Non, pas nain, finalement, d'après la troisième échographie, mais peut-être mongolien : un cas sur mille dans ces problèmes de malformation des membres.

Je protégeais depuis huit mois, sans le savoir, un être à problèmes, un individu en tout cas qui dérangeait le bel ordre, cette beauté convenue qui n'est que désir de la norme. Mon ventre, ma chair, mon sang avaient laissé prospérer un intrus qui allait rendre tout le monde malheureux et serait malheureux lui-même.


Que pouvions-nous faire ? Que devions-nous faire ? Nous n'avions plus qu'un mois avant qu'il naisse pour continuer de l'aimer malgré tout le mal qu'on nous avait dit de lui. On pouvait pleurer, certes. Mais quant à moi, je m'y refusais. Pleurer, c'était admettre, être d'accord avec les prophètes de malheur, renoncer à l'amour de la vie. Pleurer, c'était accepter l'idée d'enfanter une victime et devenir victime soi-même.


Pendant quelques jours, mon bébé n'a plus ri. Il s'est tapi dans son coin, se sentant en danger. C'est aussi que ses sœurs n'ont plus joué près de lui. L'une d'elles voulait qu'il naisse tout de suite pour qu'il soit là, qu'il nous rassure. L'autre disait que l'attendre c'était comme une longue maladie d'amour. Elles avaient huit et six ans et parlaient comme des sages. Leur sagesse nous a sauvés de la folie de ceux qui croient savoir.


Nous nous sommes remis, petit à petit, à attendre notre bébé d'amour et non plus un être malfaçonné à qui il manquait quelques millimètres au fémur gauche et peut-être pire... Car il s'agissait bien de quelques millimètres et ce calibrage, à lui seul, avait entraîné toute une famille dans la peine.

J'espère, je crois, n'avoir cédé à la pression destructrice de la médecine voyeur, pas plus de quelques heures pour regagner très vite les cimes paisibles de l'attente sereine.


Le dernier mois de cette longue attente, son papa venait le soir parler à son fils, tête et bouche contre ventre : alors, tu viens mon petit ? Même si tu as un petit fémur, même si tu es mongolien, on t'aime, tu peux venir... Et le bébé qui tournait le dos, qui boudait depuis quelque temps, se rapprochait tout doucement, en un lent mouvement de tout le corps, au plus près de la voix.


Il se remit aussi à glousser, à ricaner parfois quand ses sœurs reprirent leurs jeux à ses côtés. Nous étions en paix. Il naquit en paix. Quand après l'avoir câliné, réchauffé, tenu contre mon sein qu'il prit tout naturellement, on l'emmena pour les examens habituels, je me demandai soudain : au fait ! Et sa jambe ? Qu'est-ce qu'elle a ?...

Le père revint, tenant fièrement son enfant dans ses bras, deux de ses doigts enserrant amoureusement la minuscule cuisse gauche incriminée : voilà ! Je te présente Petit Fémur, nouvel indien de la tribu ! Il est beau , n'est-ce pas ?


Le bébé leva les yeux vers la voix en haut, découvrit son papa et eut un joli petit rire.


(Danièle Sastre)

Les années avant l’opération (la marche, les sports, l’école)




C'est vrai que lorsqu'ils sont bébés on s'inquiète pour la marche... Mon fils est né avec un valgus du genou et à cause de la différence de longueur de membres (3cm à 1 an) il a dû marcher en "équin"... mais il était debout à 10 mois!... Le problème, c'est de trouver les bonnes chaussures (les faire faire sur mesure) mais en fait, petits et à la maison, ils marchent encore mieux pieds nus... Il ne faut pas hésiter à les laisser sans chaussures...

Pour ce qui est de l'opération, on préconise des âges différents selon la pathologie et... selon les chirurgiens...Nous avons refusé « l'école » qui disait :"vers 5-7 ans, c'est bien, ils se rendent moins compte..." pour adopter avec notre chirurgien l'attitude de :"8-9 ans, c'est mieux car l'enfant est assez grand pour participer à son traitement". Donc notre fils a été opéré à 8 ans et demi et tout est rentré dans l'ordre, vraiment, à 11 ans... car après l'allongement, la consolidation, le retrait de l'appareil, il a fallu lui poser des agrafes au genou atteint de valgus et retirer ces agrafes après 1 an et demi... Donc, bon poids, à son entrée en 6ème, seulement, il était tranquille...

Pour l'hospitalisation, il faut compter une semaine puis quatre mois d'allongement dans un centre puis quatre mois de consolidation de l'os nouveau à la maison avec l'appareillage et le fauteuil roulant puis les béquilles... Pour notre part, le développement psycho moteur de notre enfant était parfaitement normal à ceci près qu'il fut beaucoup plus mûr précocement que les autres... Pour le regard des autres, à l'école notamment, cela n'a pas posé problème car il savait quoi répondre aux "questionneurs" et n'a jamais subi de moqueries... Au contraire, durant son traitement, à son retour en classe, il a été beaucoup aidé et soutenu par ses camarades... mais ça aussi, ça se prépare, avec l'aide de l’instituteur(trice) notamment...

Pour le sport, il ne faut pas espérer en faire un champion... Mon fils a fait de l'escrime de 7 à 8 ans (car la différence de longueur de jambes n'était pas un problème pour ce sport) beaucoup de ping-pong (pour la même raison) et un peu de tennis plus tard... Mais à ma connaissance, la plupart de ces enfants qui ont cette difficulté, cherchent à se surpasser, en font beaucoup plus que d’autres qui n’ont pas de problème de dissymétrie des jambes et pratiquent plusieurs sports. Peu leur sont déconseillés d’ailleurs, mis à part le rugby pour les risques qu’il comporte et le tennis pour le déséquilibre supplémentaire qu’il peut provoquer.


Dans l'ensemble, tout se passe bien quand on tente de résoudre chaque étape et chaque difficulté au fur à mesure qu'elles se présentent, sans angoisse extrême, avec sérénité, en s'informant le plus possible et surtout en communiquant toujours avec l'enfant car c'est lui le premier concerné : il faut toujours le tenir au courant, lui expliquer, lui demander ce qu'il en pense et ne pas le forcer, dans un sens ou un autre : c'est sa vie, c'est sa jambe, c'est son avenir...

Adapter les chaussures




La première année, bien sûr, ce n’est pas un problème que cette petite jambe plus courte d’un centimètre ou plus. On peut, si la gêne pour le bébé quand il commence à marcher à quatre pattes causée par le bas de babygro qui « traîne » se remarque, ne lui mettre que des grenouillères sans pieds (pas toujours facile mais il suffit de couper les dits pieds du pyjama.)

Pour se mettre debout, apprendre à marcher, aucune précaution particulière n’est nécessaire. Pieds nus ou en chaussettes, c’est le mieux, et pour éviter les glissades, une petite paire de pantoufles en matière souple rehaussée d’un ou deux centimètres par le cordonnier suffit. Les mêmes en plus solides pour dehors peuvent être utilisées.

Vers neuf mois, on a le sentiment qu’il faut « s’équiper » et, un peu à regrets, trouver de bonnes chaussures « orthopédiques » (le mot lui-même fait peur…). Muni d’une prescription du chirurgien qui suit l’enfant, on se met en quête d’un bon bottier orthopédiste. Je me souviens avoir fait faire des chaussures de marche pour mon bébé de neuf mois, avec plusieurs rendez-vous pour prendre ses mesures, commander et réceptionner les chaussures… plus d’un mois après ..: Quand enfin nous les avons eues, son pied avait grandi et il ne pouvait plus les porter. (En plus, il détestait les chaussures…)

Commence alors une sorte de parcours du combattant pour compenser du mieux qu’on peut les chaussures du petit marcheur. Il faut trouver, dans le commerce, la paire qui pourra supporter le collage d’une semelle externe en caoutchouc, qui ne soit pas trop lourde car le caoutchouc alourdit considérablement, qui tienne au pied sans le contraindre trop. Le cordonnier fait de plus en plus la moue quand on la lui apporte pour en rehausser une des deux avec « de plus en plus de centimètres ». Car l’enfant grandit vite et la différence entre ses deux jambes s’accentue au même rythme. Le cordonnier finit par dire : Désolé, ça, ce n’est pas mon boulot, il faut voir un orthopédiste…

Il faut alors envisager, aux alentours de plus de trois centimètres d’écart, de mettre une partie à l’intérieur (donc adieu aux chaussures basses : bonjour les chaussures montantes « orthopédiques »…) et le reste à l’extérieur. En huit année de recherche de la bonne chaussure (à changer tous les quatre mois…) je crois avoir « fait » trois bottiers orthopédistes différents dont un qui travaillait à Rennes alors que nous vivons à Paris, que j’allais voir régulièrement avec le petit en train car j’avais lu dans une revue de baskets pour sportifs de haut niveau qu’il travaillait avec des matériaux ultra légers…


Je crois, en fait, qu’elles n’étaient jamais « parfaites » à mes yeux ces chaussures car ce que je voulais c’est, justement, ne plus en avoir besoin… Mais il y avait aussi des raisons objectives : leur poids, leur couleur, leur « look » qui pour l’enfant commençaient à compter.

Pour finir, dès l’âge de trois ans et ce jusqu’à ses huit ans, date de la fin de l’allongement, j’ai choisi la solution la plus simple et la moins coûteuse : acheter une paire de baskets avec des « scratch » (sans lacets) que l’orthopédiste adaptait en fixant un morceau dessous et dedans, selon l’évolution de l’écart, destiné à compenser les fameux cinq, six, sept centimètres manquants…

Et la fin de ce parcours, la récompense, pour vous et pour l’enfant, c’est, d’abord, quand l’orthopédiste du centre vous donne rendez-vous pour raboter la moitié de la semelle qui rehausse (de quatre centimètres d’épaisseur elle passe à deux) et surtout, pour finir, quand il enlève carrément tout (l’allongement terminé) et vous redonne une chaussure légère, légère… (enfin une chaussure « normale »…)

A l'hôpital

Un jour on vous dit, lors de la consultation annuelle à l’hôpital avec le chirurgien : « Je crois qu’il va être temps d’envisager l’opération. » Ce moment que vous attendiez, espériez ? depuis quelques années est enfin arrivé. Mais soudain, pris au dépourvu car on n’y croyait presque plus et avait pris l’habitude de ne pas trop poser de questions, on a peur, on voudrait encore différer, pourquoi pas ? d’une petite année supplémentaire...

J’ai raconté dans un témoignage (Mon bel Ilizarov) le choc de l’annonce du Jour J (enfin le jour J c’est beaucoup dire : on nous parle d’abord de l’Année A, après, il faut attendre pour plus de précisions…) et le séjour à l’hôpital puis en centre de rééducation. Je ne voudrais pas y revenir. D’abord parce que c’est (encore) douloureux et ensuite parce que depuis dix ans les choses, ont, je l’espère, sans doute changé ou en tout cas évolué.

Enfin nous y voilà : on a longtemps attendu en se demandant chaque année si cette fois, le temps était venu. Beaucoup de parents sont taraudés par la question : Quand mon enfant se fera-t-il opérer ?

Je réalise après coup, même si à cette époque je n’aimais pas cette « réponse », que, comme le disait le chirurgien,"le plus tard sera le mieux".

On a tendance en effet à voir ça comme une sorte de règlement d'un souci qui préoccupe toute la famille et par ricochet l'enfant concerné mais il faut surtout voir quand lui (ou elle) ne supporte plus trop sa chaussure compensée, en a marre, n'apprécie plus les questions à l'école et se sent gêné pour la marche. C'est ce qui est important et non pas pour nous, parents, de régler une question chirurgicalement qui nous soucie depuis la naissance de l'enfant...Pour cette question du "Quand ?" il faut s'en remettre au chirurgien, à l'enfant et être infiniment patient car vraiment, le traitement en lui-même est long et pénible ; c'est loin d'être une simple formalité et c'est l'enfant qui doit être prêt et, si je puis dire, en avoir "envie".

On se pose beaucoup de questions autour de l'intervention mais aussi sur l’après. L’intervention elle-même, cela nous échappe totalement : On s’en remet au chirurgien, à son équipe et à l’institution hospitalière, en croisant les doigts... C’est tout ce qu’on peut faire. On se fait tout petit, on essaie d’être là au maximum pour son enfant, sans toutefois « déranger ». On veut que les choses aillent pour le mieux. On n’est qu’un partenaire pour ceux qui « font », qui agissent, un partenaire en plein désarroi qui essaie de ne pas être angoissé. On est extrêmement concentré et on attend que l’ouragan passe. On se dit, on se répète : Après, ce sera mieux, beaucoup mieux. Mais quelle galère en attendant !... Les sept heures d’intervention pour la pose de l’appareil m’ont parues une éternité. Le temps c’était comme arrêté.

Le centre de rééducation


Mon fils, parvenu à huit sans gros problèmes d'intégration de sa jambe plus courte de sept centimètres, était partant pour engager le traitement mais il voulait absolument, après le séjour à l’hôpital, rentrer à la maison sans passer par la case "centre de rééducation". C'est là-dessus que je me suis battue de toutes mes forces sans pour autant obtenir gain de cause... Mais si c'était à refaire (et comme je m'y préparais pour un deuxième allongement éventuel qui n'a pas été nécessaire) je me battrais encore plus car maintenant je sais que c'est faisable (à la maison) qu'il y a les structures pour mais que simplement les chirurgiens préfèrent suivre tous leurs petits patients au même endroit... C'est pour eux que c'est plus simple... Et aussi, à leur décharge, ils ne connaissent pas a priori les "capacités" des parents pour prendre en charge eux-mêmes à la maison (avec infirmière, kiné, etc...) le déroulement d'un traitement qui peut durer plus d'un an...


Ayant quand même renoncé au « tout à la maison » pour le deuxième allongement quand j’ai vu l’ampleur du problème et la nécessité d’avoir une structure d’accueil pour un traitement « au long cours », j'avais tout prévu, tout organisé : plutôt que de végéter dans un centre en « pensionnat » loin de sa famille, l'enfant, qui aurait alors eu treize ans et non plus huit, devait se rendre chaque jour en VSL (véhicule sanitaire léger) dans un centre très proche de chez nous et pas à 50 km comme pour le premier allongement... afin d’y recevoir les soins et kiné ainsi que suivre sa scolarité (allégée), et rentrer chaque soir à la maison. Cela n'a pas été utile car à la dernière visite annuelle, le chirurgien a décidé qu'un deuxième allongement n'était pas nécessaire.

Pour le premier allongement, le chirurgien, voyant nos réticences à envoyer notre fils loin de la maison pendant des mois, avait simplement répondu « Mais non, à la maison ce sera trop dur pour vous et vous allez surprotéger votre enfant : le traitement n’avancera pas. » Mais il n’avait pas envisagé avec nous une autre solution, à mi-chemin : ni entièrement à la maison, ni totalement au centre de rééducation (y compris la nuit où, franchement, il ne s’y passe rien du point de vue du « traitement » sauf des crises d’angoisse pour l’enfant du fait d’être loin des siens…).

Quelque part, pourtant, le chirurgien avait raison quand il disait que pour les parents, c’est très dur de faire suivre seuls à l’enfant son traitement à la maison. Il faut être entièrement disponible, parfois pendant une très longue période et avoir envie de s'en occuper soi-même, adapter la maison, prévoir des aménagements importants, faire face aux crises causées par la douleur, réagir devant une infection de broches… Bref, il vaut mieux avoir des partenaires efficaces avec soi et ceux-ci, on ne les trouve que dans les centres… Pour autant, cela ne veut pas dire « abandonner » son enfant dans un centre où en une journée (je ne parle même pas de la nuit…) il ne se passe rien et où seulement deux heures sont réellement utiles aux soins, rééducation et suivi médical…Ce dont mon fils a beaucoup souffert, plus que de la douleur physique, c’est de l’ennui.

L’autre difficulté pour les parents si l’on considère qu’ils prennent eux-mêmes en partie le suivi de l’enfant à la maison, c’est qu’il ne faut pas « oublier » d’être ferme car souvent l'enfant, avec vous, peut ne pas avoir envie de refaire ses pansements de broches régulièrement, tourner chaque jour les mollettes de son appareil, faire ses exercices de kiné. Bien sûr, c'est plus facile avec un enfant de treize ans qu'avec un petit de cinq, sept ans... mais en général, nous, les parents, sommes moins bien placés pour gérer l’enfant dans ces périodes si difficiles. Souvent, j’appréciais que mon fils qui renâclait à faire quelque chose de pénible à la maison pour son traitement, se souvienne de « ce qu’avait dit le chirurgien » (qu’il admirait beaucoup) et bon gré mal gré, il finissait par faire ce que je lui demandais…Ce n’était pas « pour moi » (pour faire ce que je lui demandais) c’était « pour lui » et parce que le chirurgien lui avait bien expliqué que la réussite du traitement dépendait de lui avant tout.

C’est difficile un tel traitement, il faut de la part de l’enfant, une certaine maturité. Donc il faut savoir retarder et attendre tout en sachant que plus tard, il y aura les questions liées à l'adolescence, le regard des autres, les transformations du corps et surtout l'école qu'il est plus embêtant de manquer à 11-13 ans qu'à 7-9... Trouver le juste équilibre donc, ni trop tôt, ni trop tard : c'est aussi avec ça que doivent "jouer" les chirurgiens. Alors pour nous, parents, je dirais : confiance totale concernant le médical et "droit d'ingérence" à fond concernant l'organisation du traitement, ses conditions, sa localisation.


J'ai fait 100kms par jour pendant quatre mois pour aller voir mon fils tous les jours dans son centre et je sais que ça, ce n'est ni normal ni obligatoire...On aurait pu faire autrement et si j'ai obtenu qu'après quatre mois il rentre chaque soir à la maison, je peux témoigner que c'est par mon insistance et non par la volonté du centre et du chirurgien... Il serait resté un an là-dedans, sans quoi...Dans un lieu où nous, sa famille, serions allés le voir "le mercredi et le dimanche"... Je n’ose imaginer les dégâts plus tard sur le plan psychologique…

Mais revenons à l’après de l’intervention.

Tout le monde est pris dans la tourmente et les questions affluent. Comment toute la famille va devoir vivre mais surtout l'enfant lui-même ? Mon fil n'avait jusqu'alors jamais quitté la maison sauf pour aller en classe de découverte et je m'inquiétais beaucoup pour l'éloignement : cinq jours à l'hôpital proprement dit et quatre mois comme interne dans un centre de rééducation puis presque un an dans ce centre en hôpital de jour!... On me disait que « tout se passerait bien ». Dans l'ensemble oui, cela s'est bien passé mais dès le départ il a fallu que je signale que je n'avais pas l'intention de le laisser entre leurs mains avec seulement visite le mercredi et le dimanche. J'ai dû imposer ma présence tous les jours et finalement l'enfant a accepté son sort et fait de gros progrès rapidement (beaucoup plus rapides que si je l'avais laissé "végéter" dans ce centre et déprimer... même le chirurgien l'a reconnu après-coup...) Il faut être déterminé (et très organisé) pour que le petit n'en garde pas de traces indélébiles plus tard car le traitement est long et parfois douloureux et il faut une présence aimante et quotidienne pour le supporter, quoiqu'on vous dise... La famille est en stand by pendant ce temps, les frères et soeurs doivent se débrouiller seuls plus ou moins... La scolarité ne pose pas problème car c'est une chose que ces centres contrôlent et assurent assez bien. Mais je le répète, l'enfant en plus d'être "handicapé" et souffrir de maux physiques ne doit pas souffrir de maux affectifs et risquer de déprimer... Il faut beaucoup l'entourer et ne pas compter sur l'institution pour le faire...

Maintenant mon fils est adulte : né avec un centimètre d'écart entre les deux jambes qui sont devenus 7 cm à 7 ans, il a récupéré 8 cm par un premier allongement (le chirurgien a voulu lui donner « un centimètre d’avance ») et à l'adolescence, il n'avait plus que 2,6 d'écart (ça s'était redécalé avec la croissance) En totalité, si on n'avait rien fait à l'heure actuelle, il aurait 13 cm d'écart entre les deux jambes et là, après allongement, il n'a que 2,8 cm. Donc le jeu en valait bien la chandelle et j'encourage toutes les mamans dont le petit bébé a ce problème, à voir les choses avec optimisme car aujourd'hui il est bien traité et le résultat est fantastique...














« Récupérer » huit centimètres en quatre mois qui s’étaient « perdus » en sept ans (depuis la naissance), c’est une belle victoire, non ?


















Trucs et astuces (vêtements, aménagements)


On a du mal à imaginer à l’avance toutes les petites questions du quotidien qu’il va falloir régler. Déjà l’habillement… Surtout avec un Ilizarov qui est un appareil plutôt volumineux (et qui accroche avec ses onze broches qui dépassent…) plus aucun short, slip, caleçon, une fois engagé par les pieds ne peut aller plus haut… Il faut donc acheter des caleçons de taille largement supérieure à celle de l’enfant en temps normal (pour 8 ans je prenais du 12 ans) et les tailler tout du long de la partie externe, côté jambe appareillée. On coupe aussi au niveau de la ceinture puis on coud un bouton pression en haut et un ou deux plus bas ce qui, ouvert facilite le passage de la jambe et peut être fermé après. Pour les joggings, on fait la même chose. A l’époque quelques marques faisaient des surpantalons (c’était très à la mode…) qui avaient l’avantage d’être ouvrables tout du long de la jambe et fermables avec des pressions. Mais je n’en vois plus dans le commerce. Il semblerait que ce soit passé de mode.

L’enfant doit pouvoir disposer d’un lit au rez-de-chaussée si sa chambre est habituellement à l’étage pour ses venues du week-end puis après l’allongement, son passage en hôpital de jour avec retour à la maison chaque soir. Plus tard, dans la partie consolidation du traitement, il pourra monter les escaliers mais au début cela paraît inenvisageable. Son lit de préférence doit être à hauteur d’un fauteuil roulant pour faciliter les transferts. Une fois sorti du centre définitivement (où on lui prêtait un fauteuil), il est nécessaire d’en louer un (avec prescription du kiné du centre) ainsi qu’une paire de béquilles. L’attelle, nécessaire en fin de traitement quand l’appareil a été retiré et qui doit être portée quelques heures par jour est généralement fabriquée par l’orthopédiste du centre aux mesures de l’enfant selon la prescription du chirurgien.

Les aides (transport, congé parental, allocations)

Quand vient le temps de quitter le centre tous les soirs pour y revenir le matin, il faut prévoir « un véhicule sanitaire léger » pris en charge par la Sécurité sociale. Il vaut mieux en faire la demande assez tôt car c’est assez long à obtenir et cela conditionne la possibilité des retours à domicile de l’enfant. Un médecin conseil de votre centre vous reçoit, vous et l’enfant, avec une demande du médecin du centre.

Le congé parental pour accompagner l’enfant sur une année dans toutes ces épreuves existe ; il est appliqué selon les règles de l’entreprise ou la société qui vous emploie. Je n’ai vu qu’une maman au centre en bénéficier. Elle faisait partie de l’Education nationale. Sa fille, opérée à Paris, était soignée en centre de rééducation d’Ile de France et la famille habitait Cannes donc elle logeait au centre, ce qui est tout à fait rare (on la considérait comme une « privilégiée »…)

Il y a dix ans, il existait une allocation spéciale pour ce genre de situation : L’AES (Aide à l’Education Spécialisée) dépendant des autres aides de la CAF. Celle-ci a été remplacée depuis 2006 par l’AEEH (Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé) Les demandes pour l’obtenir sont à déposer à la Maison départementale des personnes handicapées de votre département qui appréciera le taux d’incapacité de l’enfant et décidera de l’attribution de l’AEEH et éventuellement d’un complément. Mais depuis 2008, les choses se sont encore un peu compliquées car l’AEEH et autres prestations vont fusionner avec une nouvelle prestation de compensation du handicap (PCH) qui celle-ci ne sera pas destinée uniquement aux enfants mais les inclura. Il faut donc bien se renseigner.